Avril 2005 –
j’ai 14 ans d’expérience en tant que cadre supérieur, dont 3 sur le poste que je reprends après la naissance de mon troisième enfant.
Pendant mon congé maternité, j’ai changé de patron. Je suis heureuse de reprendre le travail et curieuse de démarrer une nouvelle collaboration. Quelques jours avant, je sollicite un entretien pour faire connaissance –pour dire aussi que quelques demi-journées de congé me seront nécessaires les premiers mois pour le suivi médical de ma petite dernière, née plusieurs mois en avance.
Et là, le ciel me tombe sur la tête. Mon nouveau patron m’explique en effet que mon poste ne peut pas convenir à une mère de famille. Pour preuve, il n’a que deux enfants et sa femme et lui ont choisi qu’elle cesse de travailler. De plus, ayant un petit frère né prématuré, il sait fort bien –mieux que moi- que ce n’est pas compatible avec une activité professionnelle.
Je surmonte la panique qui me prend de ce dialogue surréaliste, de ce sentiment d’une mauvaise farce. Calmement, j’argumente que mes compétences et mon implication professionnelle n’ont pas disparu ni même diminué avec une troisième naissance –au contraire, gérer les urgences et priorités est une capacité que j’ai eu l’occasion d’encore développer. Je confirme vouloir rester en poste
Je reprends mon poste en même temps qu’un rendez-vous avec le correspondant ressources humaines de la direction à laquelle je suis rattachée, espérant confusément m’entendre dire que j’ai mal compris les propos de mon manager –tant je ne peux concevoir que des positions et pratiques aussi idiotes puissent être soutenues.
Le ciel n’avait pas fini de me tomber sur la tête : le type des ressources humaines prend un ton docte et condescendant pour m’expliquer que ce poste précisément exige une disponibilité à 140%, et que le fait que j’ai besoin de congés pour le suivi médical de ma fille indique que je n’ai pas cette disponibilité.
Je me rapproche alors de la CGT, avec le sentiment que je n’ai plus rien à perdre –faire appel à un syndicat, dans cet environnement de cadres sup aux objectifs soigneusement individualisés, c’est signer un pacte avec le diable et colorer à tout jamais mon image professionnelle d’une teinte d’insoumission et de conflit. Un entretien est organisé à nouveau avec mon manager et le représentant des ressources humaines, le cadre de la loi est rappelé, ma détermination confirmée, le type des RH et le manager pleins de bonne volonté : je renonce à une procédure aux prud’hommes et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes –et la CGT me propose le rôle de déléguée syndicale, j’ai pris conscience que ce rôle était nécessaire bien avant de comprendre que ce mandat allait aussi me protéger.
Avril 2006 –
un an après mon retour de congé maternité, les réunions d’équipe, irrégulières, coïncident étrangement avec les rendez-vous de ma fille à l’hôpital. Mes objectifs semestriels sont simples : je dois ranger le bureau de mon patron –de préférence en son absence pour ne pas le déranger, même si son bureau est fermé à clé. L’assistante qui a pris le relais pendant mon congé en revanche a des objectifs très ambitieux, on s’entraide et elle est en bonne voie pour une promotion largement méritée. Le service fonctionne avec des potes de stagiaires, dont les responsabilités sont plus lourdes que les miennes : solidaire là encore, je les aide en douce pour leur alléger la tâche, je revendique que leurs frais de cantine et de trajets soient pris en charge au moins à la même hauteur que celles de leurs collègues –et je ne range toujours pas le bureau du patron, ce qui justifie une absence de prime sur objectifs.
Octobre 2006 –
ma cadette est complètement sortie de la prématurité, je suis remise de cette peur affreuse de la perdre apparue dès sa naissance – il est temps pour moi de sortir du placard. En perte totale de confiance, je prépare un congé pour création d’entreprise : malgré le soutien dont j’ai bénéficié, cette fuite sera mon salut.
Mars 2016 –
je suis revenue au salariat, dans un environnement majoritairement féminin, comme souvent dans les directions de communication. Beaucoup d’entre nous travaillent à temps partiel. Au printemps dernier, la charte graphique, base de notre travail quotidien, a changé. On nous a organisé une présentation. Un mercredi.
Pour ma part, j’ai accouché fin avril d’un adorable petit garçon en pleine santé. J’ai été arrêtée dès le 5eme mois pour un problème de santé pouvant compromettre le bon déroulement de ma grossesse. J’ai 38 ans. Certes je n’avais qu’un an d’ancienneté quand je leur ai annoncé que j’étais enceinte mais je me suis toujours rendue disponible en cas de besoin. A mon retour de congés maternité j’ai été convoquée par ma Direction. Je pensais que c’était pour préparer la rentrée. Pas du tout ! On m’a expliquée que ma période d’absence avait été trop longue et qu’une nouvelle organisation avait été mise en place ne nécessitant plus ma présence. J’ai du batailler pour obtenir un semblant d’indemnités transactionnelles me faisant traiter de « trop gourmande »… (j’ai demandé 3 mois et la période d’homologation rémunérée non effectuée). Une situation humiliante quand on sait que la période de protection est passée à 10 semaines et que j’aurais atteind 2 ans d’ancienneté à l’issue de cette période. Mais ça m’a fatigué de négocier avec des personnes qui manquent profondément d’empathie. Je suis donc allée à l’encontre de mon avocate et j’ai donc « quitté » mon CDI pour 6000 euros…
Le témoignage de Pascale est malheureusement monnaie courante… j’entends les mêmes autour de moi. Des mamans qui n’ont pas le droit « davoir » des enfants sur le plan opérationnel. Mon pédiatre m’a dit de ne pas rester dans le silence pour rejoindre toutes ces mamans qui sont victimes de leur statut. C’est juste scandaleux…