Une femme jeune diplômée démarre sa carrière de Cadre. Elle ne se sent pas concernée par les problématiques d’égalité professionnelle. Elle n’y croit pas, à vrai dire. Pour elle, il s’agit de prétextes, de femmes qui se cachent derrière un soi-disant sexisme pour justifier leur manque de compétence. Elle ne va certainement pas être comme ça ! D’ailleurs, elle vient de décrocher un bon poste, bien mieux rémunéré que ses camarades de promotion.
Dix ans plus tard, ces mêmes camarades ont résorbé leur écart de rémunération. Elle est moins bien payée et moins bien placée dans la hiérarchie que ses collègues masculins. Elle ne se formalise pas : cet écart n’étant pas justifié à l’origine, il est normal qu’il disparaisse. Quant à ceux qui l’ont dépassée, ils occupent un poste avec plus de responsabilités. Tout cela est très normal, dans le fond. Bien qu’elle n’ait pas l’impression d’être moins compétente que ses homologues, elle redouble d’efforts pour que la qualité de son travail soit visible de tous et pour qu’elle soit enfin reconnue.
Cinq ans plus tard, elle est enceinte. Elle travaille en société de services, autrement dit, elle doit être positionnée chez des clients mais « on ne peut pas te placer avec ton gros ventre ». Ébahie, elle encaisse commentaires, brimades, sanctions. Elle devient un « poids financier » pour son employeur, qui ne perd pas une occasion de le lui rappeler. Elle culpabilise, se fait toute petite et se tait. Cela ira mieux quand elle reviendra, dans quelques mois.
De retour de congé maternité, elle bénéficie de la moyenne des augmentations de ses collègues durant son absence. Sur le moment, elle culpabilise : son employeur lui a expliqué que la loi lui impose de l’augmenter mais, n’ayant pas travaillé pendant plusieurs mois, elle ne le mérite pas réellement. D’ailleurs, pour faire bonne mesure, elle ne sera pas augmentée les années suivantes.
Elle entre alors dans une nouvelle phase, celle de la conciliation vie privée/vie professionnelle. Elle travaille tard : elle est une mauvaise mère. Elle rentre tôt pour aller chercher ses enfants : elle n’est pas professionnelle (« tu as pris ton après-midi ? »). Son homologue masculin, lui, avec le même nombre d’enfants, renvoie l’image d’un homme stable, sérieux. Il gagne bien plus qu’elle.
Quand elle arrivera à la retraite, pénalisée à toutes les étapes de sa carrière, alors qu’elle démarrait avec les mêmes diplômes et les mêmes ambitions que ses camarades de promotion, elle gagnera à peine 70% de leur niveau de pension.
Son parcours est typique.
Aujourd’hui, elle comprend.
Elle comprend d’abord que, alors qu’elle était jeune et sans enfant, elle était victime du « soupçon de maternité », situation dans laquelle un employeur privilégiera davantage la progression des hommes, qui eux ne partiront jamais en congé maternité.
Elle comprend ensuite que l’augmentation de retour de congé maternité a pour but de compenser son absence en matière de parcours salarial. Si elle n’avait pas été absente, elle aurait pu être augmentée… ou pas. Afin de garantir l’équité, la loi exige la moyenne des augmentations de ses collègues.
Elle comprend surtout que rien de tout cela n’est de sa faute. Qu’elle n’est pas moins compétente. Qu’elle n’est pas moins professionnelle. Qu’elle n’a pas moins bien travaillé. Elle a été victime d’une discrimination, liée à son sexe, liée à sa maternité. Rien d’autre.
Elle comprend enfin que l’égalité réelle ne viendra pas toute seule. Qu’il ne suffit pas de bien travailler pour être reconnue et promue, qu’il faut se faire valoir. Qu’il faut se battre pour ses augmentations, pour ses promotions. Qu’il est injuste qu’avoir des enfants soit un frein à une évolution de carrière. Qu’il ne faut pas laisser passer les commentaires désobligeants. Qu’il ne faut pas hésiter à mettre nos interlocuteurs et interlocutrices face à leurs comportements sexistes.
Qu’il faut faire entendre notre voix. Ensemble, pour l’égalité.
Rachel C., cheffe de projet en SSII, membre du collectif égalité femmes-hommes de l’Ugict-Cgt